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VOYAGE INSOLITE

Déambuler dans l'atelier du peintre, c'est accomplir un voyage initiatique.
Où se situe le passage, la faille, entre la ville et l'ailleurs ?
Je me souviens d'une montée en douceur vers un manoir d'un autre siècle. J'imaginais, à l'arrière, un chemin à travers landes, les sœurs Brontë en conciliabule et, tout au bout, la mer d'un gris bleuté…
et le phare de Virginia Woolf.
Cependant… la clef tourne dans la serrure, la porte s'ouvre sur un escalier vétuste dévalant vers un jardin secret qui me renvoie aussitôt les visages de la petite Marie Lennox, celle du livre et celle du film.
Et soudain nous voici dans un antre souterrain aux voûtes médiévales, mais vaste comme une salle de bal et lumineux grâce aux très hautes fenêtres.
Le regard s'affole, s'apaise, se laisse enchanter par ce beau désordre si bien rangé : partout, sur les tables, les sièges, les murs, le sol… des toiles en attente du verdict, entourées de pinceaux aguicheurs au repos;
à peine ébauchées ou quasi achevées, presque toutes dans ces tons verts et gris bleuté que j'espérais sans le savoir et qui évoquent des paysages nordiques; et des piles de chiffons portant des traces prometteuses, cadeau du Hasard, coup de pouce offert à l'artiste.
Au fond, un sofa profond pour rêver ou méditer, s'imprégner du sortilège.
J'imagine comment je vivrais dans cette pièce unique, comment j'y distribuerais mes meubles, mon piano, mes livres et objets précieux. Je vois les étagères envahir le terrain, former des cloisons, des paravents… Je vois cela en un seul coup d'œil, en une seule seconde, et puis les tableaux me happent,
me capturent, me captivent.
C'est le lieu où s'élaborent les fusions inattendues, les effusions entre la pensée, l'intuition, les souvenirs oubliés, les chuchotis de revenants. La diffusion de vapeurs invisibles s'échappant des couleurs y jouerait-elle un rôle ?
Le peintre nous confie ne pas savoir d'avance où son pinceau va le mener. Il aime les errances aux destinations inconnues, il attend la révélation, la fulgurance. Son art est transfiguratif et s'apparente
à la recherche philosophique, à la quête du Graal.
Nous quittons les lieux à regret mais la découverte de la galerie nous replonge dans l'éblouissement. Méritons-nous un tel privilège ? Ici, tout est noblesse et raffinement, harmonie et liberté. Nous entrons dans le royaume des paysages flous et mouvants, des brumes échevelées qui flottent et virevoltent, laissant apparaître, quand la magie opère, des ciels brouillés, délavés, des terres craquelées, des ponts suspendus, des étangs, des jetées, des falaises, des forêts touffues, des clairières, des châteaux délabrés, des ruines somptueuses… Si l'on s'attarde devant un tableau ou si l'on revient le contempler encore,
on constate avec étonnement que d'indécelables mouvements ont dû se produire à notre insu,
écartant un filament de brume ou la proue d'un nuage et ainsi dévoilant maints trésors jusqu'alors bien cachés. Le vent des landes a-t-il envoyé jusqu'ici l'un de ses émissaires ?
Ces lieux doivent être hantés par des elfes ou des fées…
N'allons pas plus loin. Mieux vaut sauvegarder le mystère…
Laurence Amaury
Poétesse et Autrice Belge.
Octobre 2024

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